L'art, inspiration de la production technique de L. de Vinci?
III - L'ART, INSPIRATON DE LA PRODUCTION TECHNIQUE DE L. DE VINCI?
Au cours de ce dossier nous nous sommes interrogées sur le rôle des mathématiques dans l’œuvre artistique de Léonard de Vinci. Seulement, n’oublions pas que l’artiste était également mathématicien et ingénieur. En ce sens, nous nous sommes demandé si, à l’inverse, l’art eût pu influencer les réalisations techniques de Léonard, notamment de la machine volante. Celle-ci peut-elle être considérée comme une œuvre d’art ?
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a) De Vinci, Icare de son époque
Pendant la majeure partie de sa vie, L. de Vinci fut, comme Icare, fasciné par le vol. Il voulut faire voler l'homme. Il analysa donc le décollage, l'atterrisage et le vol des oiseaux et produisit de nombreuses études sur ce phénomène, ainsi que les plans de vol de plusieurs appareils:
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● un prémisse d’hélicoptère nommé la «vis aérienne» (1)
● le parachute (2)
● un deltaplane en bambou.
La plupart de ces appareils était irréalisable. Néanmoins, De Vinci estimait que les systèmes proches des chauves-souris avaient le plus gros potentiel. Il tenta alors de construire une sorte de planeur doté d’ailes articulées (voir croquis ci-contre) et voulut même faire un essai du haut du mont Cecero.
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(Les trois croquis ci-dessus sont issus des Carnets de Léonard)
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b) L'art comme inspiration?
L’art est semblable au rêve du fait de son mode d’expression : il magnifie et dramatise, il présente sous une forme théâtrale resserrée ce qui se développe dans la réalité plus lentement (ce processus de la condensation se retrouve dans la règle des trois unités au théâtre). L'inspiration issue du rêve serait donc semblable à une inspiration artistique. De Vinci voulut (rêva?) le vol de l’homme, et il créa donc plusieurs machines à l’image des oiseaux. Cela est en soi une belle utopie et fait davantage songer à l’inspiration artistique qu’à une envie de faire avancer la science. La vraie question à se poser devient alors "De Vinci a-t-il rêvé le vol de l'homme?"
Justement, De Vinci n’était pas un rêveur. Il étudiait scientifiquement et ne reculait pas devant le détail des choses : «Fais d’abord l’anatomie de l’aile, puis celle des pennes sans plumes, puis celles des pennes avec des plumes» (L. de Vinci)
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b) Un projet irréalisable
Malheureusement, il manque la source d’énergie qui rendra réalisables les inventions du génie italien. Les bras et les jambes n’étant pas vraiment plébiscités par le public en tant que force motrice, la machine volante ne sera jamais adoptée en tant que moyen de locomotion et reste une production unique. La science d’aujourd’hui serait plus en avance si cet homme extraordinaire eût connu nos sources d’énergie modernes.
En outre, on ignore si l’essai du mont Cecero eut réellement lieu et si la machine vola un jour.
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d) Ostinato Rigore
On retrouve donc, en opposition, le désir de créer un nouveau moyen de locomotion pour l’homme par la voie jusque là inexplorée des airs car prétendue inaccessible, ou le rêve de voir l’homme quitter la terre ferme dans l’espoir d’imiter l’oiseau. Quelle que soit la motivation qui prit le pas sur l’autre, c’est des oiseaux que naquit l’inspiration de Léonard. Cette inspiration pourrait être à priori assimilée au domaine du rêve, seulement l’inventeur ne souhaite que domestiquer l’atmosphère et la voie aérienne en instrumentalisant les oiseaux :
«Et sans doute les membres des oiseaux obéissent plus facilement à leur âme que ne le fera la machine à l’âme de l’homme, qui en est séparée, est surtout s’il s’agit des mouvements d’un équilibre presque insensible. Toutefois, puisque nous voyons l’oiseau pourvoir à une si grande variété de mouvements, nous pensons par expérience analyser jusqu’aux plus sensibles de ces mouvements et y pourvoir au moyen d’un instrument dont l’homme se sera fait l’âme et le génie» (L. de Vinci)
Il semblerait donc que sa devise, «Ostinato rigore» (une rigueur obstinée) l’empêche de se laisser aller aux songes.
Pour conclure, la machine volante ne pourrait donc pas être assimilée à une œuvre d’art, et l’inspiration de Léonard lui viendrait de la rigueur mathématique ayant pris une place prépondérante dans son esprit. Il préconise d’ailleurs d’ «étudier les mathématiques et [de] ne point construire sans fondements» et fait comprendre encore plus explicitement qu’il est d’abord mathématicien dans tous ses domaines d’exercice, dont l’art, en déclarant : «celui qui n’est pas mathématicien ne peut me comprendre, car je suis toujours dans mes principes».